Conflit sur les retraites : quelle issue ?
Journée d’action puissante le 19 janvier, validation du projet de loi par le Conseil des ministres le 23, le conflit sur les retraites s’annonce rude et long. Les positions semblent irréconciliables entre le gouvernement et l’ensemble des organisations syndicales, unies dans la contestation du projet. Qui a raison ? Comment sortir de cette situation inextricable ? Le Pacte civique tente de prendre du recul.
Une réforme est-elle nécessaire ?
La réponse est indéniablement OUI. Notre système de retraites par répartition va se trouver confronté, dans les 15 ans à venir, à une équation démographique défavorable : les entrées en retraite vont continuer à augmenter jusqu’en 2030 et resteront à un niveau élevé alors que la population en âge de travailler restera stable. Le déficit du système, bien qu’il soit maitrisé pour les prochaines années, réclame de nouvelles sources de financement. Les réformes successives qui ont évité son effondrement tendent à allonger progressivement la durée de la vie active, ce qui est sans doute nécessaire pour faire face aux défis futurs.
Est-ce le bon moment ?
Après le choc de la pandémie dont nous sommes à peine sortis, le déclenchement d’une guerre violente déstabilisant les relations internationales et l’économie mondiale, le retour de l’inflation et une menace climatique de plus en plus pressante, cette réforme contestée ne fait qu’ajouter un choc supplémentaire à une société qui n’en avait pas besoin.
Comment dès lors comprendre la précipitation du gouvernement et la brutalité de son calendrier de mise en application ? L’une des hypothèses souvent avancée est que le Président Macron, face à la perspective de déficits importants et de taux d’intérêt croissants impliquant un recours massif à l’emprunt, souhaite envoyer un signal fort à la finance mondiale et en particulier aux agences de notation, montrant qu’il est capable d’actions « courageuses » pour rétablir les finances de la France.
Cette réforme est-elle juste ?
Les deux principales mesures, passage de l’âge légal de 62 à 64 ans et accélération du passage à 43 ans de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein, affectent les différentes catégories sociales de manière très inégale.
Les gens les plus diplômés, qui ont suivi des études longues et sont entrés tard sur le marché du travail sont peu touchés. D’ores et déjà, ils ne peuvent bénéficier d’une retraite à taux plein avant 65 ans ou plus, faute d’une durée de cotisation suffisante. L’accélération du passage à 43 ans de cotisation s’appliquera à eux, certes, mais dans la pratique, peu d’entre eux seront affectés, ou de manière minime.
Les populations les plus précaires, dont beaucoup de femmes, qui ont subi une carrière professionnelle hachée avec de nombreux « trous » doivent déjà – c’est l’une des grosses injustices imputables aux réformes de 2010 et 2014 – attendre 67 ans pour bénéficier d’une retraite sans décote. Heureusement, la réforme proposée ne modifie pas cet âge butoir. De même, les personnes en inaptitude ou invalidité pourront toujours prendre leur retraite à 62 ans.
Restent tous les autres, ouvriers et employés du secteur privé et du secteur public, petites classes moyennes, salariés modestes, en particulier dans les métiers qui ont permis aux Français de continuer à vivre pendant les confinements liés au Covid… Elles et ils ont souvent commencé à travailler tôt. Le dispositif « carrières longues », s’il adoucit légèrement leur cas, ne les empêchera pas de devoir partir en retraite plus tard. Ce sont bien les salariés modestes qui subiront de plein fouet l’impact de la réforme.
La réforme contient bien d’autres mesures, qu’il serait trop long de détailler ici, notamment la revalorisation de la retraite minimum qui bénéficiera, dans des proportions variables, à un certain nombre de retraités. Mais ces « douceurs » ne remettent pas en question l’injustice fondamentale sur laquelle elle repose.
Y a-t-il d’autres solutions ?
Le premier levier à actionner est celui de l’emploi des seniors. En 2019, seuls 55 % des assurés étaient en emploi l’année précédant leur départ à la retraite. Le chômage des seniors leur porte évidemment un lourd préjudice (qui va s’aggraver), mais en plus il ampute le système de retraite de cotisations dont il aurait bien besoin. La réforme présentée s’attaque de manière superficielle à ce fléau en se contentant de rendre obligatoire la publication d’un index senior par les entreprises.
Au-delà, les solutions possibles tentent d’élargir la répartition du fardeau : vers les entreprises, en interrogeant l’efficacité en matière d’emploi d’un certain nombre d’exonérations[1], vers les actionnaires en taxant un peu plus les profits[2], et enfin vers les mieux lotis des retraités, idée taboue y compris dans le monde syndical, mais qui mérite d’être explorée.
Comment sortir de cette impasse ?
Nous conservons l’espoir que le débat parlementaire jouera pleinement son rôle, et parviendra à un compromis acceptable par l’opinion et par les organisations syndicales, trop longtemps négligées. Si tel n’est pas le cas, nous entrerons dans un conflit long et destructeur dont on ne pourra sortir qu’en revenant, de guerre lasse, sur la mesure phare concentrant toutes les injustices, le report de l’âge légal de départ à 64 ans.
Au-delà de cette mesure, nous pensons nécessaire de relancer le débat sur d’autres bases, dans la sérénité et de manière beaucoup plus participative, en ouvrant des pistes[3] pour moderniser en profondeur notre système de retraites par répartition, pour l’adapter à la réalité du travail (pénibilité) et des carrières actuelles ainsi qu’à l’évolution des mentalités, particulièrement dans les jeunes générations, en matière de « valeur travail ».
Le Pacte civique proposera, dans les semaines qui viennent, une analyse plus approfondie de notre système, de ses indéniables succès (la quasi-éradication de la pauvreté chez les personnes âgées) et de ses faiblesses ; il examinera l’ensemble des mesures inclues dans la réforme (régimes spéciaux, prise en compte de la pénibilité…), et avancera des propositions pour nourrir les débats à venir.
[1] Solution préférable à l’augmentation des cotisations employeur qui risque d’accroitre les difficultés d’entreprises fragilisées par la crise économique.
[2] Rappelons que l’instauration de la flat tax en 2017 a considérablement allégé le prélèvement sur les bénéfices.
[3] L’une d’elles pourrait être la généralisation du système par points, brutalement abandonnée suite à la pandémie.
Flash info à télécharger en cliquant ici.
Merci pour cette mise en perspective bien structurée du conflit en cours.
Reste en tant que Pacte civique à analyser ce gâchis démocratique d’un conflit prévisible face à cette nouvelle réforme des retraites.
Après l’échec d’une réforme systémique basée sur l’acquisition de points, malgré les travaux du COR réunissant les diverses parties concernées, les concertations préalables n’ayant pas abouti à un compromis largement partagé, la situation semble bloquée : une opposition résolue dans la rue (se manifestant aussi par diverses grèves) risque de se poursuivre par un débat stérile au parlement vu que les postures adoptées par les uns et les autres bloquent la recherche de compromis constructifs.
Il est trop tard pour recourir à une convention citoyenne, hasardeux de proposer un référendum…Il reste donc la solution de trouver de nouvelles voies pour élargir la répartition du poids des retraites, ce qui exige de resituer la réforme dans une vision plus large de l’avenir sur le plan démographique, fiscal, social, géopolitique, etc.