Le grand âge n’est pas une période vide de l’existence
Les relations avec ceux qui ont beaucoup vécu nous ramènent à l’essentiel, aux liens personnels, profonds. Elles permettent aussi de créer un lien entre les différentes époques et conditions sociales. Elles questionnent les urgences, rappellent des fondamentaux. Chez les personnes atteintes d’une altération des capacités physiques ou cognitives, l’objectif est de garder le plus vivant et authentique possible le dialogue avec la personne. Même si la parole est moins claire, même si l’expression ne se fait plus que par gestes et expressions, elle doit toujours être écoutée et reçue avec attention.
Le cri d’alarme des professionnels qui accompagnent les personnes très âgées n’a pourtant pas été entendu en 2018. Et la pandémie de Covid a jeté une lumière crue sur leur difficulté de vivre, à domicile comme en établissement.
Face à des enjeux qui ne vont cesser de croître avec les évolutions démographiques, il est urgent d’agir : 2,6 millions de personnes ont 85 ans et plus en France en 2020. Ce nombre va croître de 70 % d’ici 2040, en raison de l’augmentation de la durée de vie et de l’arrivée au grand âge des baby-boomers. Bonne nouvelle. A condition qu’on ne refuse pas les moyens nécessaires pour prendre en charge ceux qui ont le plus besoin de soins, d’attention ou de plaisirs : leur désir de vie est toujours là ; il doit être pris en compte.
Largement en retard dans ce domaine, la France ne fait pas assez pour le rattraper. Dans les années où Nicolas Sarkozy fit réaliser des études sérieuses et bien informées, le dossier fut refermé sans un mot. Le quinquennat de François Hollande a vu l’adoption de dispositions législatives intéressantes mais sans les moyens financiers à la hauteur des enjeux. Le gouvernement d’Edouard Philippe a permis une concertation approfondie et consensuelle portée par Dominique Libault ; puis un rapport de Myriam El Khomri sur la revalorisation des conditions d’exercice des professionnels ; enfin une réflexion de Denis Piveteau et de Jacques Wolfrom sur l’habitat partagé, permettant d’éviter l’isolement au domicile tout en demeurant « chez soi » avec des services communs. Au final, 500 propositions émanant de nombreux rapports se sont empilées au fil des ans.
La pandémie de Covid a mis en évidence les conditions souvent difficiles, voire inacceptables dans lesquelles exercent les professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées, en même temps que la souffrance de ceux dont ils prennent soin.
Certes, durant l’été 2020, des mesures ont été prises pour revaloriser les personnels des EHPAD dans le cadre du Ségur de la santé. Et aussi pour unifier la gestion des financements consacrés aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap sous l’autorité de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Une ressource supplémentaire lui a été attribuée…en 2024 !
Le 22 septembre 2020, dans l’un de ces EHPAD particulièrement affectés par la crise, le Président de la République a fait la promesse de « présenter dès le début de l’année prochaine … une réponse globale extraordinairement ambitieuse ». Mais, comme rien ne venait, ceux qui travaillaient sur une loi d’ampleur préparée avant l’épidémie ont perdu peu à peu confiance.
Or, la parole d’un président l’engage, et engage aussi la crédibilité de la parole publique. Et quand il s’agit d’une promesse énoncée après un printemps 2020 marqué par des morts en masse de personnes âgées tant en EHPAD qu’à domicile, après que deux présidents eurent déjà très largement fui le sujet, la promesse est d’une particulière gravité.
Une loi pour aller à l’essentiel : des mesures dispersées n’auraient pas de sens.
Court mais ambitieux, principalement axé sur le renforcement des effectifs qui est une clé essentielle de la réussite (au moins 20 000 créations/an), un texte peut être voté sans difficulté, à la condition d’y consacrer des moyens significatifs. Il s’attachera à réunir les conditions pour que les métiers soient attractifs (rémunération, formation, temps d’échange). L’attractivité des métiers, sans laquelle les délais de recrutement s’allongent, est l’un des objectifs essentiels de la loi. Eluder ce choix est finalement une perte de chance pour la société tout entière en limitant le développement d’un secteur porteur de sens et d’emploi. Les sous effectifs actuels sont une cause majeure de dégradation de l’état de santé des personnes âgées et, au final, de surcoût pour la collectivité. Ne pas investir aujourd’hui dans une société de la longévité coutera plus cher demain.
Nous ne croyons pas à une opposition généralisée entre les âges qu’on a agitée ces temps-ci. Quoiqu’il en soit, des créations d’emploi de qualité pour les jeunes, et naturellement les moins jeunes, c’est une première dans ce secteur.
Mais le texte doit également régler quelques questions de principe importantes :
– affirmation de la pleine citoyenneté des aînés ;
– simplification du financement public des EHPAD ;
– généralisation des Maisons des Aînés et des Aidants, guichet unifié, pour que les familles trouvent un référent capable de donner toutes informations utiles et évaluer les situations les plus difficiles ;
– décloisonnement résolu entre domicile et établissement
– mesures précises pour éviter les maltraitances ;
– rôle des départements précisé et celui du Conseil de la vie locale élargi et organisé en liaison avec toutes les communes, par exemple pour la coordination des transports et du logement des plus de 85 ans.
Il va de soi qu’au début du prochain quinquennat cette action réformatrice de large ampleur devra se poursuivre. Mais le mouvement doit être lancé dès maintenant.
Mesures législatives proposées par le Pacte civique :
Le nombre de personnes de plus de 85 ans[1]va augmenter de manière très importante : par rapport à 2020, de 14 % en 2030, de 75 % en 2040 et probablement de 115% en 2050. C’est l’heureuse conséquence de l’augmentation de l’espérance de vie des 40 dernières années et le résultat de l’arrivée au grand âge des générations nées juste après la guerre …puis de leurs enfants.
Cette évolution est mal préparée. À l’évidence, et avant même la montée de la vague démographique, les personnels ne sont pas assez nombreux, les niveaux de rémunération faibles, les évolutions de carrière mal organisées et la formation variable selon les organismes. Globalement, les parcours des personnes du grand âge demandant une prise en charge sont souvent chaotiques et incertains, les soumettant, eux comme leur entourage, à de grandes inquiétudes pour le présent comme pour l’avenir.
Si le désir de la grande majorité des personnes est de vivre chez soi, ce vœu n’est pas toujours possible car les services d’aide et de soins à domicile sont insuffisants et peu disponibles.
Quant aux Ehpad, ils dispensent des services de qualité très différente. Nous connaissons tous de vraies réussites dans certains Ehpad. Le plus souvent, la qualité de la formation et des relations sociales est comprise par des directeurs qui cherchent, par ailleurs à créer les conditions d’un travail en équipe, une participation active des familles dans les conseils de la vie sociale tout en assurant la qualité des soins. Les bénévoles y sont nombreux, les activités organisées intéressantes. Face aux multiples difficultés de vivre et de recevoir des soins de qualité, notamment lorsque les handicaps s’alourdissent, le désir de vie et de relations qui anime chacun trouve dans certains Ehpad, un cadre à la fois plus sécurisant et stimulant
Mais partout, que ce soit dans les Ehpad ou à domicile, l’insuffisance de personnel rend les tâches plus lourdes comme en témoignent les difficultés de recrutement.
La promesse que le chef de l’Etat a faite en septembre dernier dans un de ces Ehpad qui se sont trouvés privés de toute protection pendant longtemps (masques, blouses) l’engage plus encore que les autres. Si elle n’est pas respectée, quelle promesse le sera ? Le respect d’un engagement pris dans ces circonstances est, plus que tout autre, une condition indispensable de la confiance dans la parole publique.
Et ce, indépendamment d’autres réformes en chantier, comme celles des retraites…
Quoi qu’il en soit, le calendrier est implacable. Il n’y aura de loi autonomie et grand âge que si elle est suffisamment courte pour être votée avant la fin de la mandature.
Cette loi devra être complétée par d’autres mesures, déjà largement préparées à la suite des excellents rapports réalisés par le 1er gouvernement Macron (rapports El Khomri, Libault, Piveteau).
Les présentes propositions législatives visent à :
– permettre le recrutement et la formation initiale des personnels indispensables ;
– améliorer la situation financière et la formation professionnelle des personnels travaillant actuellement pour les soins et l’accompagnement de qualité aussi bien dans les Ehpad qu’à domicile ;
– améliorer la coordination de l’ensemble des intervenants afin d’assurer une réelle attractivité à leurs métiers ;
– améliorer l’information donnée aux personnes âgées et à leur famille en prévoyant un interlocuteur de proximité pour chaque personne et un référent pour les cas les plus lourds ;
– prévoir des dispositions visant à mieux reconnaître les droits des personnes et à lutter contre les maltraitances qu’elles peuvent subir.
Dix mesures pour une loi sur le grand âge
1.Construire les projets d’établissements et de services avec comme principes fondateurs le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.
2.Créer au moins 15 000 à 20 000 emplois par an ces cinq prochaines années, afin d’atteindre le ratio de personnel défini par la Défenseure des Droits dans les établissements accueillant des personnes du grand âge.
3. Mettre en place un service unique de l’autonomie, porté par les Maisons des Aînés et des Aidants (M2A), qui s’articule avec les dispositifs existants, notamment les dispositifs d’appui à la coordination. Ces M2A assureront, dans chaque département, la réponse à toutes les demandes d’information des personnes à risque ou en perte d’autonomie ainsi que l’accompagnement des personnes en situation complexe.
4-Engager une réforme des processus d’évaluation des personnes en situation de perte d’autonomie pour une vraie évaluation multidimensionnelle de leur situation tenant compte des standards internationaux et servant de référence à tous les financeurs.
5-Faire de la conférence du financement de la prévention une conférence départementale du grand âge présidée par le président du conseil départemental, en liaison avec les communes et les intercommunalités, avec un champ étendu au logement, à la mobilité et au développement des actions intergénérationnelles.
6-Réformer la Caisse nationale de la solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour en faire une tête de réseau du service public de l’autonomie et la garante de l’équité territoriale en lui conférant la mission d’établir des contrats avec les départements. L’équité territoriale sera améliorée par un appui financier aux départements qui peuvent avoir des charges particulièrement élevées en raison notamment du nombre important de personnes âgées dans le département et de faibles ressources.
7-Fusionner les tarifs des sections soins et dépendance des Ehpad désormais financés uniquement par les Agences régionales de santé (ARS) et profiter de la réforme pour fusionner les aides existantes et établir une aide au logement permettant de mieux accompagner les personnes retraitées modestes dans le règlement des tarifs des établissements.
8-Définir avec la participation des populations concernées des objectifs de qualité et de bonne pratique des offreurs. Promouvoir la formation des professionnels des services à domicile pour assurer un niveau de qualification minimum partout sur les territoires et créer un cadre institutionnel pour le financement de la formation continue des personnels du secteur médico-social.
9- Généraliser au secteur du Grand âge l’organisation de groupes d’analyse des pratiques en prévoyant un temps d’échanges réguliers entre professionnels (2 heures par semaine pour échanger entre eux)
10-Conduire les actions concernant les personnes aidées dans le respect de la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance envers les personnes vulnérables, au sens de la définition élaborée par la Commission permanente en charge de la bientraitance créée par la loi d’adaptation de la société au vieillissement. L’utilisation de cette définition ne fait pas obstacle aux autres dispositifs déjà prévus en matière de protection des personnes.
[1] Estimé à 2,6 millions de personnes
Liste des signataires de la tribune :
Bernadette Aumont, psychosociologue, retraitée
Catherine Barbaroux, membre du bureau exaécutif de la République en marche (LREM)
Marianne Berthod, retraitée
Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France (ADF)
Morgane Caillaut, présidente de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale
Alice Casagrande, présidente de la commission « Métiers du grand âge » de la mission El Khomri
Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées
Thierry Drilhon, dirigeant d’entreprises, président de la Franco-British Chamber
Laurent El Ghozi, docteur, président d’honneur de « Elus, Santé publique & Territoires »
Agnès de Fleurieu, ancienne présidente de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale
Jean-Baptiste de Foucaud, ancien commissaire au Plan
Anne-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (FEHAP)
Marie-Marthe Dress, docteur gynécologue
Jeanne Dupont Deguine, vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France
Danièle Duwoye, ancienne secrétaire générale de la Fondation Res Publica
Bernard Ennuyer, sociologue, HDR université de Paris
Marie-Françoise Fuchs, Présidente d’honneur de l’association Old’Up
Bertrand Galichon, médecin, président du Centre Catholique des Médecins Français
Louis Gallois, ancien président de la Fédération des acteurs sociaux, ancien dirigeant de la SNCF, d’EADS, de l’Aérospatiale et de la Snecma
Mathilde Gisselbrecht, gériatre, praticien hôpital européen G.Pompidou
Marie-Jo Guisset-Martinez, présidente du comité d’éthique d’Isatis
Jean-Claude Henrard, professeur de santé publique
Emmanuelle Jeandet, inspectrice générale des affaires sociales (H)
Daniel Lenoir, président de Démocratie & spiritualité
Jacqueline Louiche, ancienne Présidente de La vie nouvelle, membre du Pacte civique
Véronique Mallet, membre du Haut conseil de la santé publique
Claire Mounier-Véhier, cardiologue, CHU Lille, Agir pour le Coeur des Femmes
Delphine Moreau, enseignante-chercheure à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP)
Juliette Moreau, médecin généraliste, gériatre
Yannick Moreau, ancienne présidente du Conseil d’orientation des retraites (COR)
Yves Munera, médecin interniste, ex attaché des hôpitaux de Paris
Frédéric Pascal, ancien président de la Fonda
Christine Patron, vice-présidente de l’association Isatis
Bernadette Puijalon, anthropologue, université Paris Est Créteil
Jacky Richard, coordinateur du Pacte civique
Monika Sanders, membre de Démocratie & Spiritualité et du Pacte civique
Anne Semard, consultante en gérontologie
Alain Smagghe, médecin coordonnateur, Maison des Sages
Alain Supiot, professeur au Collège de France
Eric Thuillez, président de l’Association de soutien du Pacte civique (ASPC)
Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France (FHF),
Alain Villez, président Petits frères des pauvres