Quand le président de la République a parlé de la fin de l’abondance, une petite lumière s’est allumée dans ma pauvre cervelle. J’ai, comme tout le monde, lu les commentaires et exégèses de cette prise de position, mais nulle part, je n’ai trouvé évoqué cette référence dont j’avais, sur le moment, cru – voire espéré – qu’elle fondât le propos présidentiel : je veux dire, la référence au livre de Jean-Baptiste de Foucauld publié en 2010 par Odile Jacob et intitulé L’Abondance frugale. Cet ouvrage dressait, suite à la crise financière, le constat simple et convaincant que l’humanité était parvenue au terme de certains paradigmes de croissance, et tentait de penser une issue possible à l’équation impossible que semblait poser le conflit entre abondance désirée et frugalité nécessaire.
Si cette référence m’a paru plausible dans l’esprit présidentiel, c’est parce que la réflexion de Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan, ne s’enracine pas dans la tradition écologiste-libertaire mais dans la social-démocratie chrétienne. Plus précisément, elle a vu le jour dès 1980 au sein du club Echange et Projets dont la figure tutélaire était Jacques Delors. Aussi pouvait-on imaginer que resurgissait en ces temps de crise un effort de réflexion ancrée dans une épure démocratique, soucieuse de continuité plus que de ruptures brusques, éprise de justice sociale plus que de punition, consciente du jeu de contraintes économiques et sociales plus que rêve creux se gobergeant de grands soirs. Bref, j’ai cru voir un instant bouger le cadavre de la
deuxième gauche !
Jean-Baptiste de Foucauld fait le constat de l’épuisement non seulement de ressources naturelles, mais plus largement de ressources morales : la perte de sens est évidente, l’expropriation des individus de leur propre vie par la pression excessive du travail lui semble nette. Le besoin de retrouver un plan de vie fondé sur le bon usage du temps, l’épanouissement de la relation humaine, et même de renouer avec une forme de spiritualité (le fonds chrétien, ici, est prégnant) lui apparaît comme le seul horizon souhaitable.
Une morale du désir.
Etroite est la voie entre le culte matérialiste du toujours plus et la résignation à l’ascèse (il ne faut pas confondre Jean-Baptiste et Charles, à cet égard). C’est cette voie qu’explore avec une sorte de générosité calme Jean-Baptiste de Foucauld. C’est cette voie dont je pensais que, peut-être, elle était en passe de devenir une sorte de logiciel politique nouveau, avec ses promesses et sa fécondité. Je veux encore espérer que cela reste possible, mais malgré tout je m’inquiète de contradictions qui semblent en éloigner la perspective.
Ainsi, la pensée de Jean-Baptiste de Foucauld repose sur une morale du désir. Son approche se fonde sur une anthropologie fine (dont la doctrine sociale de l’Eglise est certainement le socle), qui identifie au moins trois pièges dans lesquels il importe de ne pas tomber si l’on veut réussir ce “travail sur le désir” qui conditionne la voie de l’abondance frugale : le piège de la répression morale, le piège de l’austérité sociale, le piège de la résignation. Or, le langage gouvernemental n’évite aucun de ces pièges. Au contraire, une étrange surenchère verbale se fait jour. On entend voler les mots de “rationnement”, de “sacrifice”, de “radicalité”. Venant des Savonarole du barbecue, rien
n’étonne plus. Qu’en revanche ce vocabulaire perle dans le discours de gouvernants réputés raisonnables surprend. Comme si, au fond, il n’y avait derrière les injonctions que commande assurément la situation aucune véritable armature intellectuelle et conceptuelle éclairant la voie et permettant d’échapper aux écueils d’une froide austérité ou d’une sorte de rigueur fouettarde.
De même, la difficulté à percevoir le tracé du chemin de crête que nos gouvernants veulent apparemment emprunter est augmentée par l’obsession persistante du pouvoir d’achat. Si cela peut, socialement, s’entendre, cela semble discordant avec la fin de l’abondance. Il y a donc là une forme de cohérence à inventer, de doctrine à recréer, de macronisme 3.0 à bâtir sur les fondements de cette deuxième gauche un peu vite congédiée.
Il n’est pas facile, quand on gouverne, d’être à la fois dans l’action d’urgence et dans la fabrique des concepts qui la sous-tendent. Echapper à la médiocrité des recettes improvisées et à l’emprunt stérile aux punchlines des écologistes de centre-ville suppose pourtant de fournir assez vite cet effort d’idées, de sens, de mots. Je pense qu’on doit encore pouvoir trouver le numéro de téléphone de Jean-Baptiste de Foucauld dans l’annuaire de l’Inspection des finances, et son livre chez les bons bouquinistes